ActuLes contes rugbystiques de Sébastien Lessard

Nous étions rendus au mois d’août 2020 de cet été Covid-19 et plusieurs sports demeuraient interdits par les autorités de santé publique. Les sportifs rongeaient leur frein. Il y avait bien eu les joueurs de tennis solitaires, qui s’étaient emparé de dizaines de murs accessibles d’un bout à l’autre de l’île de Montréal pour aller frapper des balles. Ainsi que des joueurs de pétanques qui pouvaient garder leur distance en allant pratiquer leur “Tu tires ou tu pointes?”, mais les joueurs de soccer et de base-ball n’avaient pu pratiquer leur sport de tout l’été. “Trop de proximité” disait le gouvernement. 

 

Que dire de ces sports à “espaces de charge interpénétrés” où l’haleine de ton adversaire te caresse le cou comme une douce brise? Non mais, penses-y même pas! Tous espéraient au minimum une reprise des activités pour le printemps 2021. Tous, oui, sauf un gars qui décida de mobiliser son club pour mettre en place un match clandestin. Un match clandestin d’un sport pour lequel distanciation physique et distanciation sociale n’ont jamais fait partie du vocabulaire: le rugby. 

 

Depuis toujours, le rugby est un sport où le frottage d’oreilles, le ceinturage de bassins avec violence, le pognage de graine, le coup de poing dans la gueule, le serrage bien fort, le pichet collectif et le “shoot the boot” d’après-match sont des dénominateurs communs. Naturellement, ce serait bien le dernier sport autorisé par le gouvernement. Mais c’est aussi un sport qui, au Québec, a l’avantage de se faire oublier. Ni vu ni connu, ni de Legault ni d’Arruda.

 

Ce sport oublié, un p’tit viking trapu lui, l’avait toujours en tête. Ce roux d’entre les roux, bedonnant, à forte barbe et vive intelligence, contacta les joueurs de son équipe pour organiser ce qui allait devenir, le premier match clandestin de l’histoire du rugby au Québec. 

 

Il faut bien comprendre, les gars ne s’étaient pas rentrés dedans depuis des mois, ils avaient les couilles pleines de rugby. Ainsi, la plupart acceptèrent le rendez-vous, sauf un des plus vieux joueurs de l’équipe, p’tit blond au yeux bleus, sous prétexte d’un marathon à courir le lendemain du match. La course à pied étant l’un des seuls sports où des épreuves avaient pu se tenir à partir de la fin juin, étant donné la distanciation physique possible et le peu d’entrain de ces athlètes à aller virer une crisse de brosse avec leurs amis suite à chacune de leur performance. 

 

Il fut convenu que le match allait avoir lieu le samedi 8 août. Il se tiendrait dans un endroit où peu de gens oseraient se pointer le nez. Les patrouilles policières étant encore monnaie courante. Et comme les policiers ne se gênaient pas pour donner des tickets à des skaters qui se baladaient seuls en ville sous prétexte que ce n’était pas un déplacement essentiel, il fallait au minimum se tenir les fesses serrées et être discrets. Ce qui est un vaste projet pour une équipe de rugby. 

 

Plus précisément, le match aurait lieu sur un sol contaminé entre d’anciennes tracks de chemin de fer, des monticules de sols souillés en attente de chargement, et un centre de distribution de Molson. Un joueur du club qui habitait HoMa avait proposé que le match ait lieu dans cet endroit crasse où on serait certain de ne pas se faire déranger, un no man’s land. Une sorte d’immense terrain vague de 2 km carrés situé entre les rues Hochelaga au nord, Notre-Dame au sud, Dickson à l’est et Vimont à l’ouest. 

 

Par ce beau samedi soir d’été, il y avait une quarantaine de gars présents. Comme on dit, il y aurait du sport. En se retrouvant, tous hésitèrent à se toucher, y allant timidement de coude à coude et autres stupidités relationnelles. Arriva un grand joueur de première ligne qui descendit de sa moto tellement heureux de retrouver ses amis, sa famille, qu’il alla embrasser tout le monde sur la bouche, comme François Legault avec sa soeur un soir des élections. Il n’en fallait pas plus pour que le feu pogne dans l’foin. Dire que la gang était contente de se retrouver serait un euphémisme.

 

Puis, un gars à la barbe courte et toujours marabout qui revenait d’un arrêt de jeu d’un an pour déchirure du ligament croisé antérieur, proposa un peu de touch pour s’échauffer. Quelle ironie quand on sait que lui-même s’était blessé lors d’un match de touch. Néanmoins, tout le monde accepta et embarqua sur le “terrain” le sourire aux lèvres. C’était bon de revoir sa famille. Cette famille dont on ne parle jamais dans les médias. Celle qui transcende parfois/souvent sa famille génétique. On ne se lassa pas de se moquer de celui qui commis le premier en-avant, d’autant plus que c’était un trois quart réputé habile, quoique fragile.

 

5-10 minutes après le début du touch, deux revenants arrivèrent. Ils s’agissait de deux blacks de la mort qui tue. L’un d’eux avait une shape de doorman. Il devait faire 6’2” pour 280 lbs et son acolyte, quasi aussi costaud, arborait une coupe de cheveux savamment étudiée, un fin jacket à la mode, et présentait un sourire rempli d’assurance. Malgré toute cette gentillesse apparente, il pouvait te découper en morceaux le plus balaise de tous les adversaires en moins de temps qu’il en faut pour crier “Tampon!”. On convenu de les faire jouer séparément.

 

Pour revenir au match, le même gars qui avait proposé le touch pris les rennes de l’arbitrage. D’ailleurs, il avait maintenant le tour là-dedans. Surtout après la fois où il avait séparé son monde en disant: “Les Français d’un bord, les Québécois de l’autre.” Et bien maudit! Ça avait marché.

 

C’est ainsi qu’un réputé chauve pris la position de 9 chez les blancs tandis qu’un jeune espoir en 9 qui jouait habituellement à l’arrière, pris cette responsabilité chez les bleus. 

 

Ce soir là, il n’y avait qu’une seule fille présente. C’était la soigneuse et physio de l’équipe. Ce que la potion magique était aux joueurs de rugby dans Astérix chez les Bretons, elle l’était pour ce groupe de mâles dominants.

 

Ce que l’on pu voir dans le soleil couchant, c’était une gang de gars libérer leurs êtres, plaquer à tous vents, porter le ballon bien fort, courir sans fin, mettre la tête dans les rucks, pousser les mêlées jusqu’à en mourir…. 

 

Tous vécurent ce que j’appellerais, un bonheur contagieux.

 

Sébastien Lessard

Club de Rugby Parc Olympique

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